samedi 4 avril 2009

Jeans du vendredi


Mélamine Camillio regrettait un peu avoir choisie de porter sa jupe courte ce jour-là.

Mais c'était vendredi.

Elle avait appris à détester les tenues vestimentaires du vendredi au bureau. La simple vue de ses patrons en jeans la faisait rager de l'intérieur. Des gens qu'elle voyait en complet veston et qui se sentait si important dans leur tenue (et qui l'étaient) pendant 4 jours, des gens dont la plus grande folie, dont le moment le plus éclaté de leur semaine sans couleur était de porter ce jean qui leur allait pour la plupart mal la rendait malade. Ça lui faisait penser à ses mononcles qui chantent du rap avec ses petits cousins à Noël pour essayer de faire cool. Ça lui ramenait aussi en pleine visage la triste réalité de son emploi. Elle travaillait comme réceptioniste dans une grosse compagnie de fromage et s'ennuyait ferme à son bureau.

Encore plus quand Austin Am venait flirter. Elle savait que c'était ses cuisses dégarnies qui l'attirait là. Austin était un employé d'origine Coréènne qui travaillait au marketing. Il savait donc comment vendre sa salade. Toutefois même si il lui racontait tous ses week-ends, même si l'invitait régulièrement à diner, même si il lui glissait toujours une invitation non solicitée pour un 5 à 7 ou un lancement elle les refusait toutes. Il la rebutait. Il était la voix informe de Bukowski derrière celle du chanteur sur la chanson Bukowksi de Modest Mouse . Elle se considérait comme l'accordéon ou le banjo de cette même chanson. Pas ce qu'il y a de mieux mais pas ce qu'il y a de principal non plus. Un arrangement dans une oeuvre. L'oeuvre étant la grosse compagnie.

Une oeuvre qui sonnait faux encore avec Austin Am dans l'oreille et sous les yeux. Elle avait souri, elle avait fait semblant de trouver drôle ses mots d'esprits, elle avait même fait semblant de prendre quelques (faux) appels pour le rejeter plus subtilement. Il avait fini par comprendre. Elle n'avait pas remarqué exactement quand mais il avait quitté son espace de travail et étais déjà ailleurs quand elle raccrochait cette fois d'avec un vrai client.

Comment arriverait-elle à lui faire comprendre qu'il ne gagnerait jamais son estime ainsi se demandait-elle quand soudainement tout l'édifice tomba dans le noir. Panne de courant.
Quelques sons de stupeurs, quelques onomatopées puis un cri. Un cri d'homme. Un cri de rage.

"Méla?" c'étais la voix de Marie-Carotte De L'Échalotte.
"Marie? c'est toi?" toutes deux ne se voyaient pas.
"C'étais quoi ça?"
Avant même que Mélamine ne puisse répondre une pétarade de fusil s'est fait entendre suivi de cris féminins et d'un râle masculin plus près de l'animal que de l'être humain. Mélamine a spontanément plongé sous le bureau en s'y cognant la tête si sévèrement qu'elle en fût aussitôt étourdie. Étais-ce bien la voix de Austin qu'elle avait entendu crier? Deux personnes d'origine asiatique avait décapité d'autres individus en un an, un autre avait perdu la tête et tué 13 personnes avant de retourner l'arme contre lui-même à New York le jour même et cet autre autre à l'université du Michigan et...et...maintenant lui?...Non elle n'arrivait pas à se résoudre à ce raisonement raciste et trop simpliste que les gens faisaient si souvent à l'égard des Arabes. Elle avait si mal à la tête, elle avait une folle envie de s'endormir mais ne voulait pas dormir non plus. "fuckers" est le dernier cri qu'elle entendit lorsqu'elle ferma les yeux et perdit connaissance.

Ça lui avait sauvé la vie.
Le tireur fou l'avait cru morte.
Ce n'étais pas Austin Am.
C'étais un patron en jeans.
Tout sauf cool.

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