mardi 25 août 2009

16 balles volontaires


Deuxième manche. 8-0 pour l'équipe de baseball de Loïc.

À 10 ans, dans sa catégorie, un match dure 7 manches. Si une équipe mène par plus de 8 pts après 3 manches le match est arrêté.

Par respect pour tout le monde.

Le papa de Loïc, qui vit ses fantasmes au travers de son fils, l'a toujours poussé à devenir lanceur. "C'est lui qui a toujours la balle, LUI il ne peut pas s'endormir sur un terrain!". Il a donc forcé la main de l'entraineur de Loïc et lui a demandé si il ne voulait pas qu'il lance la dernière manche. Ce, malgré le fait que Loïc eût supplié de ne jamais lancer.

L'entraineur s'est dit qu'il avait peu à perdre avec une avance de 8-0 et il a envoyé Loïc comme "closer". Loïc ne voulait rien savoir. Il savait que c'était son père qui prenait cette décision. Pas lui. Pas son entraineur.

Au crochet de la décision d'un autre. Son père. Une fois de plus.

Mais comme la balle était dans son gant...

Pour la fois où son père avait dit "oui" à sa place pour joindre les louveteaux il lança volontairement une première balle hors de la zone des prises.

Pour la fois où il avait beuglé "Koss tufais?" dans les estrades après une erreur à l'arrêt-court. une deuxième balle.

Pour la fois où il avait choisi à sa place la couleur du plâtre que Loïc se faisait poser à l'hopital. Une troisième balle.

Pour la fois où il l'avait porté volontaire bénévole pour nettoyer le terrain du YMCA . Une quatrième balle. Un coureur au premier.

Pour toutes les fois où il avait décidé que son fils n'avait pas le temps de parler au téléphone. Une première balle au frappeur suivant.

Pour la fois où il avait dit à Nancy-du-bas-de-la-ville que Loïc ne voulait plus la voir simplement parce que lui ne l'aimait pas. Une deuxième balle.

Pour la fois où il l'avait inscrit en équitation contre son gré. Une troisième balle.

Pour l'insistance avec laquelle il l'avait forcé à manger ses assiettes même si il allait vomir. Une quatrième balla. Un homme au premier, un homme au deuxième.

Murmures dans la foule.

Pour la somme des humiliations que son père lui avait fait endurer au travers des années et surtout pour le faire chier, Loïc a lancé 8 autres balles consécutives aux deux frappeurs suivants remplissant les buts et faisant finalement marquer un point à l'adversaire. Rendant le score 8-1 et forçant ainsi le match à s'étirer sur 7 longues manches sous le soleil étouffant du mois d'août. Un large soupir d'insatisfaction s'est fait sentir chez les parents qui croyaient quitter l'endroit plus tôt.

L'entraineur a finalement changé son lanceur.

Loïc regarda son père humilié dans le public et retourna à sa position d'arrêt-court.

Loïc aussi avait marqué un point.

Par respect pour tout le monde.

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