dimanche 1 mai 2011

Citizen Kane

Voilà 3 ans que le nom d'Orson Welles est sur toutes les lèvres de la colonie artistique des États-Unis à cause de son exploit radiophonique.

La compagnie de théâtre dont il est le leader est de plus en plus en vue. Welles, efficace businessman, s'est négocié le tournage de deux films auprès de RKO studios. Lui qui n'a jamais tourné de long métrage de fiction doit écrire, produire, réaliser et jouer dans ses deux films. (ce qu'il ne fera pas complètement, dès le second film il adapte un livre de Booth Tarkington de 1918 et ne joue pas dans son film). Le studio doit approuver le budget si il dépasse 500 000$ et Welles peut choisir ses comédiens et aura le dernier mot sur le montage final. Pour l'époque, ce type de contrat était tout simplement trop de pouvoir pour un artiste, et inexistant partout ailleurs.

Les 5 premiers mois de 1939, Welles tente de se trouver un projet. Il voudrait tourner Heart of Darkness (Coppola tirera Apocalypse Now du même livre entre 1975 et 1979) tiré du livre de Joseph Conrad, entièrement filmé du point de vue du narrateur. Ça inquiète tellement tout le monde qu'il laisse tomber. Il pense ensuite adapter The Smiler With The Knife de Cecil Day-Lewis (oui, le père de Daniel) mais constate que pour réèllement relever le défi de travailler un nouveau médium, il devrait écrire un scénario original.
Herman J. Mankiewicz récupérait d'un accident de voiture, et, auteur de deux scénarios déjà, dont un pour la radio pour Welles, il avait le temps et desespérement besoin du travail. Mankiewicz voulait écrire sur une personalité connue depuis longtemps. Un gangster comme c'était la mode dans les années 30-40, qui serait racontée par les gens qui le connaissait. Welles adore l'idée des points de vue multiples mais refuse de jouer John Dillinger dans The Tree Will Grow, une pièce de théâtre écrite par Mankiewicz (parce qu'il ne se trouvait pas aussi beau que Dillinger). Ils s'entendent toutefois pour écrire sur le magnat de la presse William Randolph Hearst, que Mankiewicz a déjà fréquenté mais qui l'a barré de ses soirées parce que Mankiewicz a un sérieux problème d'alcoolisme. Hearst est suffisament puissant pour ruiner la carrière d'un homme. Mankiewicz accepte d'écrire puisqu'il est de toute façon obssédé par Hearst et sa maitresse, Marion Davies. Welles s'inspirera pour sa part de Howard Hughes et de Samuel Insull, ce dernier qui avait construit un opéra pour donner en cadeau à son amoureuse en 1929. Le tempéremment du personnage de Charles Foster Kane est toutefois très très près de celui d'Orson Welles et Mankiewicz s'en inspire ouvertement.

Une fois le sécnario prêt, le projet est caché sous le titre de travail RKO 281 (On craint, légitimement et comme le futur le prouvera, que si la rumeur d'un film inspiré de William R. Hearst est en cours est ébruitée, il y mette son nez ou anihile leur projet).  Welles réécrit de long passages et le tournage, secret, se tient entre juin et octobre 1940 à Hollywood, à San Diego et au Château d'Oheka à Huntington, New York.

Personne n'a accès au scènes déjà tournées (les "rush") et le matériel publicitaire parle d'un film inspiré de la légende de Faust (ce qui n'est pas complètement faux non plus). Welles fait le montage de son film et organise un visionnement pour quelques invités le 31 janvier 1941. Parmi eux, Louella Parsons, la plus influente critique d'Hollywood, qui est caricaturée dans le film, film dans lequel elle reconnait aussi clairement le patron du journal pour lequel elle écrit. Elle quitte la salle en furie, en parle à Hearst qui bannie toute forme de publicité sur le film dans ses journaux au travers des États-Unis. Des articles sont écrits spécifiquement contre les studios RKO afin de les forcer à mettre leur projet sur les tablettes. Louis B. Mayer propose 850 000$ aux studios RKO afin qu'ils brûlent la pellicule. Ils prétendent parler"au nom de toute l'industrie du cinéma".
La controverse sert bien Welles et tout le monde attend "le film sur Hearst". Après des visionnements auprès de avocats du studio, on coupe 3 minutes du film pour ne pas que les références à Hearst soient trop évidentes.

Le 1er mai 1941, le film est lancé en salle. Les trouvailles visuelles, la mise-en-scène inventive, les jeux de perpective, la narration audacieuse, l'intemporalité du propos, l'intreprétation très réussie de tous les artisans, la monumentalité de l'impact que ce film aura jusqu'à nos jours; Welles a réalisé le film parfait. Son tout premier...Il a 26 ans.

Le soir de la première, Hearst engage une jeune fille mineure et un photographe qui attendent Welles dans sa chambre d'hôtel. Un policier met Welles au parfum du coup monté et Welles fait la tournée des bars toute la nuit. In the city that never sleeps, il ne dort justement pas cette nuit-là

Godard dira de Welles, à juste titre, que tous les cinéastes qui ont suivis par la suite, lui doivent tout.

Le téléfilm RKO 281 raconte l'histoire de la création du chef d'oeuvre.

Le film a couté 839 727$ et ne refera jamais ses frais.
Le film sera nominé 9 fois aux Oscars. Chaque fois que le film est mentionné à la soirée de remise de prix, le public hue. Hearst est si puissant qu'il s'assure lui-même que Citizen Kane soit tenu loin de l'estrade. L'écriture, pourtant source de son empire, échappe à Hearst. Mankiewicz et Welles raflent un seul oscar, celui du meilleur scénario.

Malgré les multiples bâtons dans les roues (Hearst a empêché la diffusion du film dans plusieurs états) imposé par Hearst, le message du film, la course au succès a un prix (et est futile), rejoint le monde entier. 

Citizen Kane est encore aujourd'hui considéré comme le film le plus important pour l'industrie du cinéma.

Il était lancé en salle aujourd'hui, il y a 70 ans.

Il n'a toujours pas pris une ride.

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