vendredi 7 décembre 2012

Joseph Anton et Les Versets Sataniques

Salman Rushdie savait ce qu'il faisait quand il a lancé son quatrième roman, Les Versets Sataniques à l'automne de 1988. Il avait simplement mal calculé l'ampleur de la folie religieuse.

Se décrivant comme un auteur et par ce statut "un antagoniste de l'État", l'écrivain Britano-indien avait auparavant lancé des lignes des les eaux de la controverse.

Son second roman, Les Enfants de Minuit, suggérait que la femme de Gandhi avait été une cause de la mort de celui-ci de par sa négligance à son égard. Son troisième roman, Honte, traitait des pakistanais, de leur politiques, de leur culture, de leur religion dans un portrait peu flatteur.
Gauchiste reconnu, il dénonçait vivement les politique du Shah d'Iran et supportait, du moins au début, la révolution islamique iranienne. En 1986, il condamnait les bombardements des États-Unis sur Tripoli. Il parlait des États-Unis en disant que c'était des "bandits déguisés en shériffs".

Dès 1988, il aurait grandement besoin des bandits d'Amérique...

Dans Les Versets Stataniques, Rushdie nous parle de Mahound, un peronnage rappelant beaucoup Mahommet. L'intrigue aussi est clairement inspirée du Coran et suggère que le diable aurait voulu leurrer Mohammet à un certain point. Les niveaux de blasphèmes dans le roman étaient si nombreux que Rushdie s'est aliéné beaucoup de gens, des islamistes, des musulmans (Rushdie lui-même est musulman) et de simples croyants. Dans le roman, Rushdie dit de Dieu qu'il est "le destructeur des hommes".
Rushdie et ses éditeurs s'attendaient à une réaction de certains mollah mais une légère controverse ne pourrait certes pas nuire à sa carrière.

La controverse allait être titanesque et très bénifique pour sa carrière.
Tant qu'il serait en vie...

Le livre est banni en Inde, au Bangaldesh, au Soudan, en Afrique du Sud, au Sri Lanka, au Kenya, en Thailande, en Tanzanie, en Indonésie, à Singapour et au Venezuela.  La seule nation ayant une population importante musulmane à ne rien trouver à redire sur le roman est la Turquie.

Aux États-Unis, la maison Penguins Books croulent sous les appels de remontrances de la part des musulmans. Le FBI enregistre 78 menaces sérieuses d'attaques contre des libraires. Certaines librairies recevant jusqu'à 30 menaces en trois heures...Deux libraires de Berkeley en Californie sont victimes d'attaques, sans faire de victimes. Les bureaux du journal le Riverdale Press passent au feu pour avoir défendu la liberté d'expression de l'auteur et condamné les libraires qui avaient retiré le livre des tablettes.
C'est toutefois en Angleterre, là où résidait Salman Rushdie, que les attaques de bombes sont les plus nombreuses chez les libraires. C'est là aussi qu'elles durent le plus longtemps.

On vend le livre sous le comptoir, et bien entendu il vend extraordinairement bien. Même ceux qui veulent le retirer des tablettes se les font arracher des mains.

Le leader suprème iranien l'Ayatollah Ruhollah Khomeini créé un incident international majeur en lançant une fatwa contre Rushdie. Sans même lire le livre...Ce qui est compris est que le coran lui-même, selon Rushdie, serait écrit par le diable. (Duh!)

Il exige la mort de Salman Rushdie et de ses éditeurs sans délai avec promesse d'être considéré comme un martyr Rire à gorge déployée. Cette insulte à Allah ne doit pas rester impunie.

À Islamabad, 6 Pakistanais qui protestaient contre le livre sont tués en attaquant l'ambassade des États-Unis.

L'Iran suivra peu de temps après la condamnation de l'Ayathollah en promettant un forte récompense à celui ou ceux qui assassinerait Rushdie. Les britanniques cessent leurs relations diplomatiques avec l'Iran à partir de ce jour-là.

Rushdie, responsablement, écrit une lettre d'excuse afin de calmer la tension grandissante. On refuse la lettre et exige avec encore plus de véhémence son éxécution ainsi que son passeport pour l'enfer immédiatement. Quiconque refuse le message de Dieu doit mourir, soutiennent-ils.

Des raisonnements du genre, ça libérerait toute une planète, non?

Plusieurs pays civilisés ont rappelé que la loi ne permet à personne de tuer sur commande et à tout moment. Toutefois plusieurs citoyens ont ouvertement avoué qu'ils ne se gêneraient pas pour tuer Rushdie à vue quand même.

Pour ces gens, un blasphémateur est l'équivalent d'un abuseur d'enfant ici. Peu de gens pleurerait la mort d'un abuseur d'enfant chez nous, personne ne pleurerait la mort d'un blasphémateur là-bas.

Violant la liberté d'expression, le droit à la création, la liberté de religion et la simple absurdité que l'on puisse crier d'une chaire qu'il faille tuer quiconque habitant dans un autre pays, la fatwa trouve peu d'appuis dans le monde. Même sur des bases islamiques, il y a très peu de raisons pour que Rushdie ait à subir ce châtiment. Il faudrait d'abord qu'il passe en cour. De plus, les éditeurs de Rushdie ne sont pas musulmans, ils n'ont donc rien à voir avec tout ça.

Rushdie est devenu entretemps Joseph Anton.
Joseph pour Conrad et Anton pour Tchekhov, deux des ses maîtres.
Il se cache un peu partout, dont en Amérique et garde le profil bas car sa tête est toujours mise à prix.
Il loge entre autre chez Christopher Hitchens et autres nouveaux amis d'Amérique et d'ailleurs.
Dans les premiers mois, Rushdie et sa femme ont déménagé 56 fois...Sa femme n'a pas pu suivre le rythme, elle l'a quitté.

On a bien tenté de faire révoquer la Fatwa mais sans succès. L'Iran réussit à faire parvenir à Rushdie une carte chaque année pour lui rappeller qu'on le cherche et qu'on le trouvera...

Salman Rushdie est toujours bien vivant et les ventes de ses livres subséquents se portent très bien.

Joseph Anton : a Memoir raconte ses années de cachette internationale et ses multiples tentatives de redevenir public.

Le livre est sur les tablettes depuis septembre.

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