vendredi 3 avril 2015

Manoelo Candido Pinto de Oliveira (1911-2015)

Drôle de coup du sort, alors que je m'apprête à vous consacrer une semaine entière consacré au 7ème art, voilà qu'un des ses artisans, qui en avait presque l'âge, trépasse.

Né à Porto au Portugal de parents riches propriétaires de terrains et industriels, il veut adolescent devenir acteur. Ses parents l'amenait voir des films de Chaplin et de Max Linder, mais ce sont les techniques de D.W.Griffiths , Eric Von Stroheim, Sergei Eisenstein ou Carl Dreyer qui l'impressionnent davantage. Il se permet le luxe, bourgeoisie aidant, d'être coureur automobile.

Il tente de faire un film sur l'implication portugaise dans la Première Grande Guerre mais manque de moyens. Il sera plutôt comédien, à 20 ans, comme figurant, dans un film de Rino Lupo. Il découvre le documentaire par un film de Walther Ruttmann. Il copie donc le style avec un premier effort sur sa ville dePorto et la rivière de Douro qui la fait vivre. Deux ans plus tard, il est acteur dans l'un des premiers films parlant qui soit issu du Portugal.

Sous le régime autoritaire d'Antonio Salazar, il peine pendant 10 ans à faire des films et doit se contenter de lancer des courts-métrages documentaires. Il travaille aussi dans les entreprises familiales afin de survivre financièrement.

15 ans après son premier film sur grand écran, De Oliveira tourne un premier film de fiction en 1942. Le film est mal reçu car il met en scène des enfants qui trichent, mentent et volent. De Oliveira se décourage et se tourne vers un travail de vignoble auprès de son épouse qui a hérité de plantations de vignes.

Il tourne tout de même 11 documentaires entre 1931 et 1963.

Il tourne son second film de fiction (semi documentaire toutefois), 21 ans après le premier. Le film lui vaut des accolades, il tourne donc aussitôt un court-métrage critique du régime de Salazar. Ceci l'emmène droit en prison  pour 10 jours et le freine dans ses élans de création. Il tournera seulement 2 courts documentaires sur les 9 années suivantes.

Se trouvant des affinités davantage avec Luis Bunuel qu'avec quiconque au Portugal, il reprend la caméra dans les années 70. Il a alors plus de 60 ans. Salazar meurt en 1968 et la révolution des oeillets de 1974, fait basculer le pouvoir au Portugal. Ironiquement, les films de Manoelo de Oliveira, trois dans les années 70, connaissent beaucoup de succès non seulement au Portugal mais les festivals internationaux s'intéressent aussi à lui. Ironique parce qu'au niveau personnel, sa famille se tenait du côté de la bourgeoisie et la fortune familiale est liquidée par la révolution. De Oliveira, comme Bunuel, critique beaucoup la bourgeoisie dans ses films.

Au début des années 80, il complète sa tétralogie (4 films) des amours frustrés avec Francisca. Il tourne ensuite trois documentaires et s'ouvre sur sa propre famille dans ses sujets de films. En 1985 il adapte Paul Claudel dans un ambitieux film de 7 heures (!). Il revient à plus gore et plus "Bunuelesque" dès 1988.
Il a 80 ans quand ses films deviennent aussi ponctuels qu'un film de Woody Allen. À partir de 1990, il tournera un film par année, parfois 2 (en 2001, 2002, 2005, 2006, 2007, 2008 et 2010 ) jusqu'en 2010. Réalisant son dernier (de fiction) en 2012. Parmi ceux-ci, une suite au film culte de Bunuel Belle de Jour.

Il tournera aussi en parallèle 10 documentaires de 2002 à l'an dernier.

Réalisant l'essentiel de son oeuvre passé 60 ans et encore davantage passé 80, il aura tourné avec Catherine Deneuve, Michel Piccoli, Marcello Mastroianni et John Malkovich. Dans ses films, les dialogues et la musique prennent une place prépondérante dans la narration, lente et statique, tel un documentaire, avec de longs plans fixes semblables à des tableaux. Un de ses fils sera d'ailleurs peintre. Les lents mouvements de caméra de Maneolo de Oliveira font écho à la lenteur du rythme de vie de sa ville natale de Porto.

Il avait encore un projet de film en tête, L'Église du Diable,  malgré ses extraordinaires 106 ans.

"Je préfère être considéré comme un grand pêcheur plutôt que comme un bon catholique" dira-t-il de lui et de son oeuvre.

Le Portugal perd l'un de ses plus prestigieux ambassadeurs cinématographique hier.

Respeito para o Grande sonhador!

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