jeudi 3 septembre 2015

Naissance & Mort de Ma Carrière d'Harceleur

(à E.M.)

À l'époque de mon adolescence, si on voulait briser la glace et parler à une fille, les obstacles étaient nombreux.

1- Il fallait d'abord réussir à dénicher son # de téléphone sans avoir l'air du gars qui a demandé son # de téléphone.
2- Le premier obstacle était directement à la maison et c'était le téléphone lui-même. Comme les téléphones sans fils n'étaient pas encore légion, il fallait appeler et parler, là où se trouvait le téléphone branché. Donc si le téléphone était dans le bureau de votre père ou là chambre des maîtres, il fallait appeler et souhaiter que papa, tout juste à côté, ne m'écoute pas tenter de séduire mademoiselle.
3-Une fois le # trouvé, il fallait franchir le filtre familial:
3a : Si c'est son frère ou sa soeur qui répond et qui demande "c'est de la part de qui?" je dis mon vrai nom?
3B :   Si c'est son père ou sa mère qui répond et qui demande la même chose ou PIRE qui demande "C'est à propos de quoi?" il faut trouver quelque chose à dire comme "...c'est pour notre devoir, j'ai besoin d'une explication..." et non la vraie raison qui serait plus près de "...votre fille me fait faire des rêves érotiques monsieur...". En inventant un devoir en commun qui avait besoin d'explications, on faisait entrer celle qu'on voulait séduire dans une spirale de mensonges avec ses propres parents/frère et soeurs.
4- Si on était chanceux, c'est elle qui répondrait et il ne faudrait pas bégayer ou avoir l'air con. Fallait avoir de quoi à raconter qui ne fasse pas trop inapproprié.
Exemple de chose approprié mais bête: "...T,es dans mon cours de français n'est-ce pas? Non? ah! j't'ais pourtant...de toute façon, vous avez peut-être le même devoir que nous, peux-tu m'expliquer..." et une fois la glace brisée "...je ne te dérangeais pas trop j'espère?..."
Exemple de chose inapproprié:
"On est dans le même cours de piscine en éducation physique et chaque fois que j'y pense je suis tout excité".

Si on avait eu Facebook, Instagram ou ne serais-ce qu'un ordinateur dans la maison, un accès internet, ou un cell. tout aurait été tellement plus facile.

1985.

Je suis élève d'une école secondaire du 418 dont l'origine remonte à 1634. La même que celle qu'avait fréquenté René Lévesque et où avait travaillé ma mère. Toutes ces années, moins les deux dernières, cette institution scolaire était une école réservée exclusivement aux garçons. Mais ma cohorte est l'année 2 de l'acceptation des filles. Le réflexe n'y est pas encore et il n'y a que 4 à 5 filles par classe sur des groupes de 30. MAIS ELLES SONT REINES.

Nous sommes en mode testostérone et même les plus ordinaires, puisque rares, nous paraissent, jolies. Parmi les peu de filles : Elle:
Steffy-Ann Castonguay. élu de tous les élèves de sexe masculin (125 élèves), comme étant la plus "Hot". Ou si vous préférez, la plus "complète". Ça voulait dire quoi complète?
Ça voulait dire qu'on pouvait rire avec elle et qu'elle nous faisait rire aussi. Qu'elle était intéressée par les garçons, Qu'elle avait des formes désirables de jeune femme et qu'elle était bien entendu jolie et sympathique. Steffy-Ann Castonguay réunissait tout ça. De plus, elle portait comme nom de famille (casse-ton-gay) un message clair: Elle aimait les Hommes Hétéros, ce qui, dans notre école privée de 1985, coupait déjà la compétition du quart des candidats potentiels pour danser un slow avec elle au prochain party du mois.

Cette école offrait en début d'année un bottin téléphonique, comprenant, photo, identité, adresse et # de téléphone de tous les étudiants de toutes les années. C'était merveilleux, ça éliminait l'étape de fouiller dans le bottin et d'appeler tous les Castonguay (208) de la région et demander Steffy-Ann.

Avec l'adresse, le harceleur en nous pouvait s'éveiller. Et c'est ainsi que j'ai réalisé que la belle Steffy-Ann habitait très près de chez moi, entre la basse-ville de Québec et la rue Belvédère. Tout juste en face du Grand Théâtre de Québec habitait dans un modeste logement: Steffy-Ann Castonguay. J'ai donc pris mon vélo un samedi ensoleillé et j'ai été me promener "par hasard" dans le secteur. Je suis entré dans le vestibule où étaient les adresses et ai retenu le nom de quelqu'un qui habitait le même complexe d'habitation. Ne serais-ce que pour me donner une porte de sortie si jamais on me demandait "que faisais-tu dans le coin?", j'aurais alors stupidement prétexté que ma tante chose qui habite au logement 217, ben c'est le même bloc que toi!". Ce qui aurait été absolument con car on fini par connaître les gens qui habitent les mêmes blocs que nous, on leur parle même et on a des relations sociales avec eux. Et en une question ("Connais tu Hunter Jones?") peut-être deux ("Est-il dans ta famille?") la réponse aurait été "non" et ça aurait signé la mort de mes prétentions.

Mais elles ne demandaient qu'à se suicider mes prétentions. Après avoir fait 4 ou 5 fois des allers retours dans sa rue, "innocemment", je me suis à rêver de la faire rouler avec moi. Debout sur mon garde-boue et fière derrière moi.  J'ai tenté de deviner à quelle fenêtre correspondait son chez eux. Puis, vers mon 14ème aller-retours, est apparue la cuisse de Steffy-Ann et la moitié de son corps assis dans l'encadrement de la fenêtre. Je l'ai vue, elle m'a vu, et elle m'a dit:

"Hey!" d'une voix masculinisée. "Hey" juste pour me dire "je te connais, toé!". J'ai levé la tête, feint la surprise comme un idiot, et dit la seule phrase que je ne lui dirais jamais:

"Hein? Ho! Salut!"

(...)
Hein
Ho
Salut

Deux presqu'onomatopées et un empêcheur de conversation: Salut!

Comme il s'agissait d'un xème trajet identique, j'étais comme un hamster en folie et même si j'avais voulu lui parler (et vice-versa) j'ai continué à rouler et plus jamais, pas plus à l'école, nous nous sommes adressés la parole.

Je me trouvais trop sale d'avoir planifié tout ça comme un pervers. Et elle, puisque je n'étais pas tellement en conversation, elle avait tant de lions à dompter..

Pourtant, elle habitait si près de chez moi, ce coin était aussi le mien. Nous partagions la même épicerie. J'aurais pu la croiser partout, mais non. À l'école seulement. Et ce samedi-là, le temps d'un "Hey!" qui allait assassiner le harceleur en moi. J'avais si honte de ma fausse randonnée en vélo que je n'en avait parlé à aucun de mes amis. Gars comme fille. Je changerais d'école en secondaire 3 et je crois qu'elle a fait de même.

Mais en 1985, j'avais 13 ans, Steffy-Ann aussi, qu'est-ce qu'elle était belle et désirable!

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