lundi 18 janvier 2016

S'excuser en Corée

Pour le Nord-Americain,la Corée en littérature c'est un univers dystopien,

The Orphan Master's Son d'Adam Johnson traite de propagande, d'identité et de pouvoir de l'État en Corée du Nord et a valu à son auteur le prestigieux prix Pulitzer en 2013. Cloud Atlas de David Mitchell contient 6 histoires qui nous transportent du Sud Pacifique au 19ème siècle à un futur post-apocalyptique en Corée.

Et ainsi de suite.

Le ridicule d'un homme comme Kim Jong-un inspire l'autocratie, les robots et l'apocalypse.

La littérature enseigne souvent bien des choses sur le peuple de l'auteur qui produit. Sans surprises, la répressive Corée n'a jamais tellement fait suivre ses best-sellers hors de son île. Mais la Corée du Sud laisse échapper quelques bijoux.

En 2007. I Have The Right To Destroy Myself de Kim Young-Ha, en 2009, The Old Garden de Hwang Sok-Yong, en 2011, An Anounymous Island de Yi Mun-yol ont tous eu une certaine visibilité et de bons succès en Amérique, mais sinon très peu d'auteur de Corée se rendent à nous*.


Quand Kyung-Sook Shin a publié Please Look After My Mom en 2011, elle a un droit à une belle vitrine et à un très bon succès d'estime. Jusqu'à ce que l'on découvre qu'elle avait plagié son roman sur une histoire de l'important auteur japonais Yukio Mishima, ce qu'elle a reconnu.

Elle s'en est officiellement excusée.

S'excuser en Corée est plus majeur que de s'excuser nulle part ailleurs. Si les rares livres nous en disent peu sur ce peuple secret, leur art de s'excuser fascine.

Particulièrement en Corée du Sud.

Le président Park Geun-hye s'est excusé du bateau surchargé qui a coulé en mer et fait 304 victimes, principalement des étudiants d'une école secondaire. Le journal JoongAng Ilbo a aussi publiée une pleine page d'excuse pour avoir couvert le dossier de manière jugée trop sensationnaliste.

Quand le Coronavirus du syndrome respiratoire du Moyen-Orient a envahi les corridors du Centre Médical Samsung de Séoul, le ministre de la santé s'est formellement excusé d'avoir causé des craintes et de l'anxiété en sous-estimant la contagiosité de la maladie et le propriétaire a fait de même pour la télévision. Le déploiement de la courbette est le geste important du rituel.

La vice-présidente et fille aînée du président de la compagnie aérienne KAL a pété les plombs à l'égard d'un membre d'équipage qui avait servi des noix de macadam dans un sac au lieu de les servir dans un bol et a aussitôt été arrêtée par la police. Elle a publiquement supplié que l'employé lui demande pardon avant de s'excuser publiquement à son tour elle aussi. Son père a fait la même chose, tout comme la petite soeur de l'employée qui avait juré vengeance contre ceux qui avait dénoncé sa soeur.

On peut aussi se rappeler que quand on a découvert que l'assassin du massacre de Virginia Tech était né en Corée (mais Étatsunien depuis) l'ambassadeur de Corée aux États-Unis avait urgé le père de l'assassin de faire un "repentir" public et même de faire 32 jours de jeûne, un jour pour chaque victimes afin de prouver que les coréens étaient une minorité d'envergure aux États-Unis. (il n'a rien fait de tout ça).

Le côté public de telles excuses est nettement important pour les gens de la Corée.

La hiérarchie, sociale, administrative, politique, est le principe d'organisation le plus important dans la vie coréenne et l'excuse publique l'un de ses plus crucial mécanismes.

Quand les gens au bas de la chaîne de commande font des conneries, le décorum exige que ceux-ci s'excuse à des instances plus élevées. Quand ce sont eux qui s'excusent à des gens plus de rang sociaux moins élevés, c'est un aveu de responsabilité et de d'imputabilité que les plus nantis en rang sociaux font à ceux plus bas dans l'échelle des "gens importants".

Les guillemets apparaissent soudainement dans ce texte parce ce type de raisonnement ne fonctionne à peu près pas chez des gens comme moi en Amérique. Le rang social pour moi n'a aucune valeur. Tout ce qui est "social" reste subjectif à mes yeux. Mais ce serait le sujet d'une autre chronique.

La Corée du Sud demande de manière récurrente des excuses de la part du Japon depuis 1993 quand le Japon a reconnu avoir forcé des centaines de Coréennes à la prostitution pour remonter le moral des soldats pendant la Seconde Guerre Mondiale.

La montée d'un nationalisme agressif de la part d'un pays voisin qui vous as envahi à répétition explique peut-être cette tendance à rechercher et exiger des excuses de part et d'autre. Il existe un terme, "han", qui est aussi un trait culturel coréen fort à ce sujet.

Quiconque se pointe en Corée du Sud de nos jours ne s'étonnera pas d'y trouver un pays ou le clivage entre aînés, inspirés de Confusius, et les plus jeunes, téléphones en main, cheveux teints et branchés sur le monde, et obsédés par la beauté physique sont en opposition. La Corée du Sud a le plus haut taux de suicide depuis 8 ans, on ne se comprend peut-être plus là-bas entre générations.

Qui s'excusera pour ça?

Depuis 25 ans, il semble y avoir un boom pop en Corée du Sud.
Depuis le temps d'une génération.

Une génération qui dit que des excuses ne sont qu'une petite portion d'un mauvais geste commis. Elles ne renverseront jamais le mal qui a été fait.

C'est du moins ce que prétend Lee Ki-Ho, 31 ans, dans son livre:
At Least We Can Apologize traduit en 2013 pour la planète anglophile.

...avec beaucoup de cynisme bien entendu...






  




*Nooooooooooooooooooon, Kim Thuy est d'origine vietnamienne!







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