vendredi 1 avril 2016

Blow Up

"Elles ne veulent rien dire quand je les fais. Elle sont bordéliques. C'est après les avoir faites que je trouve en elles quelque chose à quoi me raccrocher".

C'est un personnage qui parle de ses peintures au début du film Blow Up de Michelangelo Antonioni qui dit cela au personnage joué par David Hemmings, qui, pour sa part et de manière intérressante, ne sera jamais identifié par un nom tout le film.

Cette phrase est aussi la vision de l'art d'Antonioni.

Cette phrase correspond aussi extrêmement bien à son film de 1966. Blow Up parle de relation entre art et réalité, entre ce que l'on voit et ce qui est réel, entre la vie et la réalité. La vie d'Antonioni étant plongée dans l'art, il était donc normal qu'il plonge son histoire dans le swinging London et dans l'univers de la photographie. Photographe, rôle qu'il était un peu lui-même aussi de toute manière.

David Hemmings dans son film est le double d'Antonioni. Dans le film, Hemmings entre dans un magasin d'antiquités et s'achète une hélice précisément dans la même lignée que ce que dit la citation en ouverture de cette chronique. Simplement sans savoir vraiment ce qu'il en fera, ni ce que cela représente pour lui.

Un personnage non crédité au générique de ce film est la nature. Dans l'une des plus fameuses scènes de toute l'histoire du cinéma, le photographe prend à la dérobée des photos dans un parc avoisinant.

Le choix d'un parc "naturel" n'est pas innocent. Antonioni voulait parler de nos conceptions du réel et quoi de moins naturel qu'un parc dit naturel. Sans l'homme, ce même endroit n'est que nature. Balisé, géré et entretenu par l'homme, il devient plus artificiellement un parc naturel. Sans les balises, ce n'est qu'un parc. Le vent dans le film est toujours très intéressant. Il est à la fois le son, vecteur de tension et tout ce qui devrait être naturel.

Dans ce parc, Hemmings surprendra deux amoureux dont l'un d'eux, l'homme sera supprimé. Il prend en photo ce qui semble être un règlement de compte fatal.

L'acteur jouant l'assassiné avouera quelque 35 ans plus tard, que le côté mystérieux et énigmatique du film d'Antonioni sera presqu'une erreur. En effet des scènes avaient été prévues au scénario entre Sarah Miles, qui incarne l'amie de coeur d'Hemmings, son amant, qui aurait été de celui qui allait assassiner l'amant du parc et Vanessa Redgrave, l'amante du parc, complice de tous ses vices. Une scène du film trahit d'ailleurs que d'autres scènes devaient être tournées. Dans un café, quand Hemmings et son agent sont attablées, regardant des photos prises par Hemmings, un homme non identifié se pointe à la fenêtre du café pour les espionner. Il s'agissait de l'assassin du parc. Ce ne sera jamais expliqué au montage final parce que l'idée de solutionner le meurtre sera éclipsée au profit du brouillard entre réalité et illusion.

Pourquoi ces scènes n'ont pas été tournées? Parce qu'Antionioni, éternel perfectionniste, et n'étant qu'à son second film en couleur, voulait en explorer les vertus et avait choisi de faire repeinturer les arbres et l'herbe plus verts qu'ils ne l'étaient déjà. Il avait aussi choisi de faire repeinturer les bâtiments d'un quartier abandonné de Londres (au grand délice du quartier!) en bleu, rouge et vert très vif, baroque. Une rue entière verra ses bâtiments repeinturés en rouge!

Faisant du même coup exploser les coûts de production.

Quand Carlo Ponti, retenu ailleurs, et grand argentier du film, revient sur la plateau, il pique une sainte colère et met un terme au tournage. Il n'est pas dit que Michelangelo n'aurait pas fait le même film de toute manière, mais l'idée du meurtre non solutionné n'était pas spontanée.

Sarah Miles tentera d'ailleurs de faire retirer son nom du générique devant la maigreur finale de son rôle. Sans Succès.

Pendant la longue et formidable scène, presque animale, entre Redgrave et Hemmings au studio, Hemmings/Antonioni refait le coup de l'illusion alors que le téléphone sonne, et qu'Hemmings prétend que c'était sa femme sur la ligne, pour ensuite dire que ce n'était pas sa femme, qu'ils avaient des enfants, mais que ce n'étaient pas complètement des enfants. Que parfois, il semblait que dans son couple, il y avait des enfants. Rendant finalement tout ça très flou.

Les niveaux de scandale étaient multiples dans ce film de 1966. La nudité frontale, l'idée que deux inconnus puissent ouvertement se donner l'un à l'autre avec plaisir, fumer des joints à l'écran, évoquer un swinging London extrêmement décadent et totalement épicurien.

Le film sera son plus grand succès commercial international.
Un classique qui influencera des dizaines et des dizaines d'autres réalisateurs.

L'utilisation du silence et de la musique (D'un jeune Herbie Hancock fraichement extirpé du Miles Davis Band) nous oblige à une attention certaine sur le/les perssonnage(s) à l'image.

L'utilisation du son (et son absence) nous rappelle toujours que la vérité n'est pas toujours visible, ni audible.

À la fin du film on entend une balle de tennis que l'on sait inexistante.

Antonioni nous as bâti un film qui reflète ce que nous faisons tous les jours.
Construire une réalité mentale avec ce que l'oeil perçoit momentanément.

En posant la question subtilement: "Est-ce que ça fait toujours du sens?"

David Lynch est probablement un grand fan de l'italien.
Je suis un immense fan des deux. Lynch et Antonioni.

J'ai revisité ce film mythique cette semaine avec le plus grand des plaisirs.

Resavourant certains moments comme si c'était un premier visionnement.

Antonioni commençait à tourner ce bijou en avril, il y a 50 ans.

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