vendredi 18 août 2017

Mère de l'Année

Andréanne a passé son enfance dans des combines de sa pauvre mère, Céline.

Céline avait essayé toute sorte de choses, mais son grand succès d'arnaque allait être la peur de la technologie. Et sa fille allait y contribuer grandement.

"Y a rien pour rien dans la vie. On l'aura pas facile, on va se débrouiller, fille!" disait Céline.

À l'aube de la multiplication des cellulaires, plusieurs gens, plus conservateurs, et apeurés par la technologie, se refusait à utiliser le téléphone portatif. Chaque midi, on les voyait sortir des restos du centre-ville et ils se rendaient aux cabines de téléphones payant dans les rues.

La stratégie allait comme suit: l'homme (idéalement pas la femme) se rendait à la cabine, composait un numéro de téléphone et en plein milieu de conversation, Andréanne s'infiltrait dans la cabine et appuyait calmement sur l'appui qui faisait raccrocher la ligne. L'homme, bien entendu, restait stupéfait, voyant qu'il s'agissait d'une enfant, modérait une frustration certaine, mais faisant tout de même connaître sa colère.
Intervenait alors Céline, arrivant en disant qu'il ne fallait s'en prendre à sa fille, qui n'était qu'une enfant et faisait mine de quitter les lieux avec elle. Elle revenait presqu'aussitôt vers l'homme pour lui dire que "ma fille m'a dit que vous l'aviez frappée!". La menace obligeait un échange d'invectives et d'objections. Mais en même temps, la simple rumeur de la chose effrayait encore plus le conservateur anti-téléphone portatif, qu'il finissait par choisir, parfois par lui-même, mais plus souvent après la ligne: "La police sera en route à moins que vous ne souhaitiez de nous offrir une compensation..." de sortir des billets. Certains payaient rapidement pour mettre un terme à tout ça, après qu'elle eût rajouté "Attention, elle peut aussi m'avoir dit que vous l'avez touchée à de drôles d'endroits...", la plupart traitait Céline de tous les noms, Andréanne avait entendu sa mère, rebaptisée de toute les façons possibles.

Grandissant, Andréanne se découvrirait une passion pour le théâtre à l'école. Son numéro d'enfant égarée dans les cabines téléphoniques deviendrait celui d'une jeune ado, mentalement attardée, égarée dans les cabines téléphoniques. Doublant la menace chez les victimes, la rumeur d'avoir frappé une mineure handicapée venant donner du poids aux montants payés pour les faire partir. Et augmentant la rage chez les victimes du chantage. Andréanne vivait très bien avec tout ça.

Et Andréanne était sensationnelle. Son numéro d'handicapée était fort convaincant. Céline sentait une chaude fierté s'emparer de sa poitrine quand elle la voyait baver comme un crapeau en direction de la cabine.

Toutefois, un jour, un homme, plus grand et plus carré que les autres, beau même,  ne les as pas traitées de tous les noms. Elles auraient dû comprendre tout de suite. Deux policiers tout près et une équipe de télévision se tenaient dans l'ombre. Il y aurait des reportages à la télé les montrant à l'oeuvre, Céline passerait en cour, Andréanne serait envoyée dans un centre de détention juvénile.

Céline s'étant trouvé un avocat, Rich, il lui paierait sa sortie de prison, pour discuter de l'incarcération d'Andréanne et lui paierait aussi plusieurs Cuba Libre et des vacances au soleil. Céline et Rich se referont une vie, Rich n'ayant jamais été avocat, un arnaqueur sachant toujours en flairer un autre. Ils étaient fait pour fourrer ensemble. Andréanne était bien encadrée là où elle était. Au centre.

Elle était assez grande pour se débrouiller toute seule, jugeait sa mère, maintenant exilée aux États-Unis avec son Rich.

Ayant atteint ses 16 ans, Andréanne était libérée du centre de réforme de délinquance juvénile. N'ayant rien oublié de ses passions d'actrice, elle se rendrait à New York, où les chances de percer sur scène, à la télé ou ailleurs seraient, selon elle, meilleures. Mais parlant peu anglais, elle perdit confiance en tout. Andréanne perdit même sa curiosité et son envie du monde extérieur. Elle n'était en fait plus capable du tout de communiquer avec quiconque. Dans cet état, il ne lui restait plus qu'une seule option: la religion.

Andréanne se trouva une place dans une congrégation religieuse pendant quelques années, Là où sa sociopathie était mieux acceptée. Ça a fonctionné un temps, mais là aussi, sa congrégation la poussait vers la sortie vers ses 24 ans. Elle se trouva un emploi d'employée de soutien, vadrouille constamment à la main, simplement pour gagner le plus petit des pains.

Après avoir suffisamment mangé de la vie,  Andréanne choisit alors de boire sa mort. Elle s'appliqua, avec discipline et un rare talent, à boire sans arrêt, à chaque repas, du fort comme du vin ou de la bière jusqu'à sa fin.

On l'a retrouvait maintenant sur le bord d'une autoroute des États-Unis, assise dans un tronçon d'herbes, attendant la mort, à la vue de toutes les voitures, voulant bien tendre un billet de 20$ au possible, à sa terrible condition de errance. Jeune fille de 25 ans, dans un corps de presque 52 maintenant. Andréanne sifflotait une chanson sans air.

"RICH! regarde-moi l'épave là-bas toi! Ralentit regarde ça vaut la peine, je pense qu'elle se parle toute seule!"
 
Rich et Céline passaient alors, en voiture.

"Cybole! 'est paqueté comme une polonaise! Ça fait réfléchir se ramasser dans un état...OH! regarde Céline! une police qui fait du radar!"

"Wow!"

"Si je ralentissais pas, Il m'en collait une, le tabarnak!"

"Tu vois? c'est grâce à la petite ivrogne là-bas que t'as ralenti! Y arrive rien pour rien!"

"Y existe un bon Dieu pour nous, Minou"



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